26 mars 2023

« Les Douleurs premières » de Julien Birban, un roman écrit à la première personne et au féminin. Une pratique textuelle à l’état embryonnaire ?

 

Dans ce roman scrutant les destins amoureux bondés de fissures brûlantes qui ne cessent de broyer moults personnages, de Paris jusqu'en Italie, et de Santiago jusqu'au bord de l'Atlantique, cette voix de "femelle" signée par un "mâle", réussira-t-elle à dévoiler et décrypter l’intime des femmes dans les expériences les plus cruciales pour elles? Par exemple, d´après vous, pourrait-elle parvenir à récupérer une identité niée par la société patriarcale? Quant à la langue, pourrait-elle être imprégnée d’une sensualité plus typique selon le sexe? Et quels effets de sens engendreraient le déploiement, dans un texte rédigé par un homme, d’une voix féminine? 
Quels que soient vos avis, je tiens tout de même à vous dire que tant que l´écriture spécifiquement de filles continuera à marquer les ouvrages d´une inimitable empreinte, tant que l'écriture dite féminine sera associée au sentimentalisme et tant que les hommes seront contraints de faire appel à la part féminine de leur personnalité – ô combien bien enfouie ! – de sorte à arriver à déployer un certain regard féminin tout en essayant de s´écarter du style viril, un homme ne sera pas trop bien doué de la parole, de la pensée de manière à bien pouvoir parler au féminin. À moins que l´on puisse clairement envisager une bisexualité psychique. 
A l’heure où l’on prône l’égalité des sexes et que l’on cherche à estomper voire gommer toutes différences, de nos jours en Espagne, qu’en est-il de telles pratiques narratives? Et parmi les romanciers espagnols, certains d´entre eux, se glissent-ils dans la peau des femmes? Savent-ils faire parler les femmes en teintant les pages de leurs romans d´une certaine idée (masculine) de la féminité de manière fortement attirante? Tout cet attirail de femme jusqu´alors insondable, osent-ils le manipuler à leur guise? 
Quoi qu´il en soit, je vous convie à lire cet ouvrage paru le 16 mars chez Héloïse d'Ormesson du moment où il est hyper intéressantissime de savoir comment on a essayé de tenter d´explorer cette voie (et cette voix "femelle"). 
Voici ci-dessous les premières pages de cet ouvrage que les Éditions Héloïse d'Ormesson vous proposent de découvrir: 

Un jour je fermerai les yeux et le monde les cherchera pendant des siècles. Il demandera peut-être où je suis partie, je claquerai la langue et je lâcherai juste loin de toi. 
Mais je vous garde ça au chaud pour la fin, parce que le grand départ, la grande ankylose, c’est pas pour aujourd’hui. Toute ma vie je suis restée bien réveillée après tout, à collectionner les insomnies comme si j’avais des pièges à rats sous les paupières. Bien réveillée et en mauvaise compagnie, debout jusqu’à racler le lendemain parce que mes parents me disaient de pas le faire quand j’étais gamine. Mes parents qui auraient préféré une vie sans moi, mes parents qui m’avaient cassé la clavicule à force de me bousculer, mes parents qui avaient dit au docteur que j’étais tombée en jouant au foot avec mes copines, alors que je connaissais pas les règles du foot et que j’avais pas de copines, mes parents qui étaient pas les pires du monde mais qui auraient voulu avoir un garçon et qui se retrouvaient avec deux filles et savaient pas quoi en faire, alors ils nous chahutaient un peu trop fort ma grande sœur et moi, et ils disaient qu’on était laides, pas méchamment, mais ils pensaient qu’on était laides, ma sœur et moi, alors ils le disaient. Dans la vie d’après à Paris je restais éveillée le plus tard possible contre eux, contre tout ce qu’ils étaient. Eux qui aimaient tant le matin, eh bien qu’ils le gardent. 
Pour l’instant je cogite, accroupie sur le balcon minuscule. J’échafaude les détails pour que vous compreniez bien ce que je vais vous dire, je veux pas vous perdre en chemin. Là tout de suite il y a un souvenir qui me vient, vif mais léger, vraiment léger, ça tient pas la route, ça reste pas, ça colle pas aux semelles. Les souvenirs sont souvent comme ça chez moi. Des petits couteaux en carton, des baïonnettes en papier mâché. Ça va pas me tuer mais ça me menace quand même, pour voir. Je suis une fille alors les agressions et les menaces, ça va je connais. C’est pas un souvenir qui va me casser en deux. […]

2 commentaires:

  1. Au juste, c’est quoi, écrire comme une femme? Parler de maison, enfants, règles douloureuses? Alors, écrire comme un homme serait-il aborder la mécanique, le bricolage, le match de foot arrosé de bières devant la télé? Nâân, ça c’est le côté cliché de la réalité, mais pas la littérature: la littérature c’est une toute autre chose.
    Qu’il s’agisse de femmes écrivaines qui se sont fait passer par des hommes (Colette, les soeurs Brontë, George Sand, JK Rowling) où à l’envers (Yasmina Kadra, Sally Mara -en réalité Raymond Queneau-, Carmen Mola en Espagne), l’idéal serait d’ouvrir un livre et y plonger sans le souci de trouver une voix discordante dans le récit. Si le lecteur avisé repère un effluve de supercherie de genre, alors ce qu’est l’auteur ou autrice ne sont pas à la hauteur de leur métier.

    Pour moi, ce qui fait un bon romancier (comme ça, au masculin générique, pas besoin de préciser que j’inclus aussi les femmes) n’est pas son sexe mais la somme à part égale de sa capacité d’observation, de son désir de raconter des histoires, et surtout de son art de l´écriture, le tout créant une symbiose où le genre de l’écrivain doit s’estomper dans le dessein de créer des fantaisies perçues comme réelles tant pour le public masculin comme pour le féminin.
    Il s’agit certes de la maîtrise de la langue en tant qu’outil de travail, du flair pour creuser dans les histoires et y investir un gros pourcentage de sa vie pour en faire une oeuvre littéraire qui puisse mériter de ce nom… pourtant c ’est au fond de soi, dans ses reserves d’empathie et d’écoute, qu’il faut aller puiser la source de l’écriture: pas questions de fouiller ce que l’on a entre les jambes.

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  2. Merci! Je suis complètement d’accord avec votre refus de théoriser sur la Littérature genrée.
    L’écriture et la lecture se doivent d’être des espaces de liberté et d’épanouissement, alors que quand on parle de livres de femmes, c’est toujours pour les renvoyer au dedans, à la mollesse et même, parfois, au manque de courage stylistique et l’envie d’humilité propres de notre sexe.
    Mis à part l’argument du sexisme,nous assigner les unes et les autres à nos stéréotypes donne des contresens assez salaces, par exemple, le chercheur très prestigieux qui trouve Annie Ernaux intimiste et Michel Houellebecq social…
    Marianne

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